Des jours extraordinaires – 2

Des jours extraordinaires
Journaux croisés de Françoise Roques et Jacques-François Piquet
Semaine 1 • Semaine 2 • Semaine 3

Lundi 23 mars 2020

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Ce matin, ménage et rangement de ma chambre que j’avais eu tendance à déserter ces derniers jours pour m’installer dans la salle commune. Mais Charles étant la plupart du temps dans sa chambre, je me réinstalle dans la mienne.

En classant les papiers et les dossiers qui s’empilaient en vrac depuis des mois sur les étagères, je suis tombée sur de vieilles photos et des cahiers de notes d’une vie très antérieure, d’avant mon arrivée à Corbeil, fin 80, des papiers qu’on m’a rapportés il y a peu et auxquels, sur le moment, j’avais accordé peu d’importance, happée par le travail, les sorties, les amis. La tentation était grande de tout regarder, tout relire. J’ai failli, puis finalement j’ai tout remis dans des cartons, pêle-mêle, et les ai relégués dans un cagibi. C’eut été une épreuve que de me retourner sur le passé.

J’ai repris le déroulé de ma journée, travail, échange téléphonique avec ma collègue Bernadette, cuisine, musique.

Et la fin de l’après-midi, installée à mon bureau pour écrire. J’ai accroché un portrait de Joyce en face de moi, un portrait au crayon, qui date de « Ulysse », je pense. Ce n’est pas mon portrait préféré, trop convenu. J’ai cherché dans mes piles de vieux papiers la photo le représentant jeune homme, bravache, campé jambes écartées face à l’objectif. Pas trouvé, pas trop cherché…

JFP

Sept jours de confinement et certains travers de ma personnalité ressurgissent : rigidité, maniaquerie, frugalité (j’entends par là repas de moine sans vin de messe !). Je croyais pourtant qu’au contact de mon amie de cœur j’avais gagné en légèreté, cessé de courir après le temps, pris goût au boire et au manger. Eh, bien non, sept jours auront suffi pour me démentir, sept jours auront suffi pour me rendre à moi-même ! Et mon chat – seul être envers qui j’use encore de ma voix – en fait les frais en écopant de mes reproches comme quoi il mange trop et grossit, ne fait rien de sa vie sinon dormir, perd ses poils, rapporte des saletés du jardin, bref cradosse la maison : et qui c’est qui fait le ménage, hein ? En seulement sept jours ! Dans quel état allons-nous finir, nous, pauvres bêtes que nous sommes ?


La littérature a tout dit, et parfois dans une langue étourdissante (dans tous les sens du terme) ; qu’on en juge d’après ces quelques répliques d’une pièce de Jean-Luc Lagarce (1957-1995) :

L’Homme – De nous‚ il ne reste pas grand-chose… presque rien‚ quelques mots… des fragments… et puis aussi‚ les objets auxquels nous tenions tant‚ et la vie encore… (…)

 L’Homme – Je pense‚ monsieur‚ que… sans vouloir vous offenser‚ par simple mesure de prudence‚ je pense qu’il serait préférable‚ dans un premier temps… seulement dans un premier temps… que…

La Jeune Femme – Vous comprenez‚ monsieur‚ nous ne vous connaissons pas‚ et vous pourriez très bien… sans le vouloir‚ ce n’est pas ce que nous voulons dire… sans même oser l’imaginer… vous pourriez très bien‚ ce sont des choses qui se sont déjà produites…

L’Homme – Je pense que… dans un premier temps… pour notre tranquillité à tous… il serait bon que vous vous teniez à distance respectable de nous… Et‚ de toute façon‚ pour vous également‚ je dois vous le faire remarquer‚ c’est une sécurité supplémentaire… Qui vous dit que nous ne sommes pas‚ nous aussi‚ contaminés‚ porteurs en nous de la maladie‚ sans le savoir‚ ou sans oser l’admettre ?…

Vagues souvenirs de l’année de la peste – 1983


Mardi 24 mars 2020

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« Il est là ! », m’écrit Lionel Antoni. « Je t’apporte les cartons ». Pas d’embrassade, bien sûr, mais un grand plaisir à le voir, lui et sa précieuse cargaison.  Plaisir d’avoir enfin son livre de photographies sur Vert-le-Grand entre les mains, plaisir d’en admirer l’élégance – couverture d’un très beau vert , ce vert que la féministe Marguerite Durand aimait tant, papier agréable, mise en page sobre et raffinée – et plaisir de relire les textes qui accompagnent les photographies – de ces auteurs que j’ai aimé recevoir à la médiathèque. Peu importe si nous ne pouvons pas fêter cette parution comme nous l’avions prévu ; par ces temps incertains et paralysants, il advient quelque chose, oh presque rien au regard de la catastrophe sanitaire qui nous fait chanceler, oui, mais quelque chose que nous avons construit à plusieurs, avec enthousiasme, et c’est cela qui compte aujourd’hui, huitième jour de ma relégation où tout s’assombrit.

Ce soir, il n’y a personne pour célébrer avec moi cette parution. Charles est parti chercher des blouses blanches pour protéger son père à l’hôpital, geste généreux et dérisoire ; il rentrera tard ce soir. Mon chat renifle avec circonspection les cartons entreposés dans ma chambre et est reparti dans le jardin humer l’air vif de ce drôle de printemps.  J’aurais aimé trinquer avec Lionel, à la beauté de ses photos, trinquer avec sa compagne Elisabeth, à son talent d’éditrice, trinquer avec mon ami Jacques-François, trinquer avec ma collègue Bernadette…

Alors, voilà, je suis seule dans ma maison, je me suis servie un bol de chips au vinaigre et un grand verre de ratafia un peu écœurant, et j’ai mis la musique à fond – « La bella noeva » chanté par Marco Beasley – La bella noeva che t’ho purtà… Dimmi che noeva m’hai purtà…

A notre santé !

JFP

Je me méfie des réactions épidermiques – souvent expression de  sensiblerie plus que de sensibilité – qui nous poussent à embrasser les policiers après les attentats de Charlie Hebdo ou à prier Jésus Dieu Marie quand Notre-Dame est en feu alors qu’on n’a pas mis les pieds dans une église depuis baptême ou communion solennelle. Aussi, dimanche soir, en entendant mon voisin d’en face faire un raffut du tonnerre à vingt heures, seul dans le quartier et sans nul écho alentour, je n’étais pas loin de trouver ça ridicule. Puis, je me suis souvenu qu’il est soignant, certes pas en première ligne puisqu’il travaille en chirurgie oculaire, mais soignant quand même, et que ma discrète voisine à main gauche l’est aussi, chargée des basses besognes en EHPAD et donc exposée au risque de contamination, alors pour lui, pour elle, hier soir je suis sorti sur mon perron à vingt heures et, pendant une minute ou deux, j’ai ajouté mon vacarme au sien, ma voix à la sienne quand il a crié « bravo les soignants !» – je me suis permis d’ajouter : « honte au gouvernement ! », c’était déplacé, ce n’était pas le moment, mais ça m’a soulagé. Puis une voisine un peu plus loin s’est mise à sa fenêtre et a applaudi : je la connais un peu, sa fille est sage-femme.

Au retour de courses, toujours à bicyclette et toujours pour allier l’exercice à l’utile, j’ai remarqué la présence de drapeaux tricolores, au moins quatre, sur la façade d’un petit immeuble du quartier, pendus en rideaux aux fenêtres ou accrochés à la rambarde des balcons. Je n’ai pas compris la signification du geste, certes avais déjà vu pareil étalage de nos couleurs après les attentats de 2015, lors de matchs de football ou pour les élections présidentielles, mais là, pour qui et pour dire quoi, je ne sais pas. Affirmer son soutien au gouvernement en cette période de crise ? Oui, peut-être… Appeler les bleu-blanc-rouge – qui furent jadis des black-blanc-beur mais ça n’a pas durer – à se serrer les coudes en ces temps difficiles ? Oui, peut-être… L’explication la plus farfelue qui me vient à l’esprit, Trump l’a osée avant moi (mais Trump ose tout et, comme dirait Michel Audiard, c’est bien à ça qu’on le reconnaît pour ce qu’il est !) c’est que ce virus est étranger, du moins vient de l’étranger, et que nous, Français de souche, eh bien on n’en veut pas et on le signifie à notre manière, en brandissant notre drapeau national. Bon, ni fier ni satisfait de cette explication qui forcément induit dérapages nationalistes, je vais réfléchir à en trouver une autre dans les jours, dans les semaines à venir si l’affaire continue de m’intriguer.

Mercredi 25 mars 2020

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Hier soir, j’ai relu plusieurs chapitres du livre de Patrick Boucheron « Conjurer la peur : essai sur la force politique des images, Sienne, 1338 », livre que j’avais lu à sa parution, sur les conseils de mon amie Karine. Cet essai passionnant analyse la fresque du « bon gouvernement », œuvre peinte sur un mur du Palais communal de Sienne en 1338 par Ambrogio Lorenzetti. L’historien y interroge les représentations de la propagande  politique et  de la  réflexion  philosophique. A cette relecture partielle, j’ai été frappée par l’actualité du propos : comment conjurer la peur ? en résistant à la tyrannie et en (ré)apprenant l’art de bien vivre ensemble.

J’ai repensé à ma lecture de la veille en arrivant ce matin à la mairie de Vert-le-Grand. Je venais chercher quelques dossiers pour continuer à travailler chez moi et déposer sur le bureau du maire un exemplaire du joli livre de Lionel Antoni.

Les propos de Patrick Boucheron ont résonné étrangement dans les rues vides de Vert-le-Grand. Comment allons-nous bien vivre ensemble après l’hécatombe qui s’annonce, quand les équipes municipales seront décimées, quand certains amis manqueront ?

JFP

Ce matin je me suis réveillé guilleret avec un scénario en tête :  deux personnages, un homme d’environ 67 ans, une femme d’environ 64 ans ; la scène se passe dans un supermarché, chacun d’eux est dans sa file d’attente avant caisse, masque sur le visage, à distance réglementaire des autres chalands. Dans le panier de l’homme il y a divers achats dont un paquet de papier toilette rose ; dans celui de la femme idem divers achats dont un paquet de papier toilette bleu. Lequel regarde l’autre en premier, je ne saurais le dire, le scénario ne le précise pas, qu’importe,  l’important est qu’ils se regardent et que chacun regarde le panier de l’autre, après quoi ils se sourient, avec les yeux forcément, mais peut-être aussi avec la bouche, ça on ne peut pas le savoir. Lequel ensuite éclate de rire le premier, main devant bouche masquée et les épaules secouées en rythme, je ne saurais le dire, le scénario ne le précise pas, toujours est-il que les voilà partis à rire tous les deux, d’un bon rire franc qu’ils ne cherchent même pas à contenir, au diable les bonnes manières en ces temps de fin du monde ! Une fois leurs achats passés en caisse, papier rose et autres achats fourrés dans un cabas, papier bleu et autres achats rangés dans un panier, l’homme, tout en gardant ses distances, dit à la femme : « On prend un verre à la sortie ? » Sur quoi la femme s’exclame : « Mais on n’a pas le droit ! » L’homme se reprend aussitôt : « Je voulais dire à la sortie du confinement » Et voilà la femme repartie à rire, et lui bientôt l’imitant, un vrai fou rire cette fois, bien sonore malgré les masques, et qui les secoue tellement tous les deux qu’on dirait qu’ils dansent… A ce stade du scénario, je verrais bien une musique de violons, genre Vivaldi Allegro du Concerto N°6 en la mineur, s’élevant crescendo et couvrant peu à peu les rires. Cela dit, la bande-son c’est pas mon boulot, moi j’écris des scénarios qui me mettent d’humeur guillerette le matin et c’est déjà pas mal.     

Jeudi 26 mars 2020

 FR

En commençant ce journal « des jours extraordinaires », j’avais décidé de ne pas faire une chronique de la pandémie du coronavirus à proprement parler, mais de faire un pas de côté, de ce qui se vit à l’écart, chez moi. Mais voilà, comment parler d’autre chose quand on apprend que des amis sont infectés, malades, hospitalisés  ?

Ce soir, je suis écœurée.

Les nantis, dont je fais partie, sont passés sans trop de difficultés au télétravail, isolés dans leur maison ou dans leur appartement, alors que d’autres continuent à travailler sans aucune protection, et que d’autres encore, à la rue, ont perdu leur « maison ». La pandémie nous remplit d’effroi mais nos gouvernants ont encore plus peur de la faillite du capitalisme. L’économie doit continuer à tourner, quitte à sacrifier les petits, les « sans-dents » comme disait l’autre,  les peu reconnus, les mal payés. Ils sont sacrifiés, et vont travailler sans protection, sans masque, en promiscuité, pour des salaires honteux, pas le choix, les salaires de la peur… Ceci n’est que le prolongement de ce qui se passe toute l’année, depuis des années. Cette crise ne fait que nous le rappeler. Brutalement.

Ce soir, je suis en colère.

Alors, ce soir, « on est là / on est là / aux fenêtres et aux balcons /nous on est là / on applaudit les soignants / mais pas le gouvernement / solidaire à 100% des gens d’en bas… ».

JFP

Il m’étonne (j’aime ce verbe, en use et abuse en ces jours « extraordinaires » où tant m’étonne), oui, il m’étonne donc que les  intégristes religieux de tous poils n’aient pas encore trouvé sens et raison à ce virus, comme ils l’avaient fait pour celui de l’immunodéficience humaine qui était, on s’en souvient, punition divine contre les invertis mâles (pour les femelles on a maintenu les bûchers en attendant d’inventer mieux). Car en l’occurrence, il me semble indéniable qu’il s’agit là aussi d’un châtiment divin à l’encontre de tous ceux, mâles et femelles, qui se vautrent et entendaient le faire ad vitam aeternam dans le matériel au détriment du spirituel, dans le profit égoïste au détriment de l’humain. Toutefois, si j’osais une critique à l’égard des Très-Grands – moi le vermisseau mécréant, quelle outrecuidance qui me vaudra l’enfer ou pire le bûcher avec les invertis femelles et les sorcières – je Leur dirais que leur mesure manque de discernement, qu’au lieu de propager leur virus aux quatre coins du monde, il eut été plus pertinent et plus compréhensible pour tous de mettre le paquet sur les pays qui brassent jour et nuit un pognon de dingues et d’épargner ceux qui ne brassent que la misère et peinent à nourrir leur population. Combien d’entre nous alors, sous la menace d’un châtiment divin ciblé avec une telle jugeote, auraient vite fait tenté d’acquérir un aller simple pour Lilongwe, Douchanbé, Port-au-Prince ou Sanaa ? Mais holà les petits picsous, pas question, frontières fermées, aéroports interdits, bateaux refoulés en mer, on ne veut pas de vous, go home, vous ne nous avez pas aidés quand on en avait besoin, maintenant rentrez chez vous et crevez en silence ! Au lieu de quoi, en collant tout le monde à la même enseigne, nul ne sait trop pourquoi il est puni de toux inextinguible et fièvre de cheval, sinon de mort du fait de toutes sortes de complications dans le mou et les tuyaux ! Désolé de le dire, mais sur ce coup les Très-Grands n’ont pas été à la hauteur ! Et les intégristes de tous poils de se taire avec raison…  

Vendredi 27 mars 2020

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Hier soir, mon amie Catherine, confinée depuis plusieurs jours dans son petit appartement à l’ombre de la cathédrale Saint-Pierre, dîne avec son amie Laurence. Elle se plaint d’un mal de tête tenace et va se coucher.

Dans la nuit, elle se réveille , prise d’une toux violente qui l’empêche de respirer. Laurence appelle l’Hôpital Universitaire de Genève qui envoie les secours et hospitalise Catherine.

Puis Laurence rentre chez elle et attend. « Longue attente au cœur des ténèbres ».  me dit-elle au téléphone, cet après-midi, en m’annonçant le décès de sa compagne.

L’enterrement de Catherine aura lieu demain ; Laurence y sera. Seule.

On recense aujourd’hui, en Suisse, 197 décès liés au Covid-19. Je viens de le vérifier sur internet. Mon amie Catherine est une de ces 197 personnes.

 JFP

Aujourd’hui, j’ai décidé de publier un texte écrit par le psychiatre Paul Machto que m’a fait suivre mon amie Joëlle Cuvilliez, écrivain et journaliste. Dans ce texte rédigé à la manière du célèbre poème de Martin Niemöller, pasteur et théologien allemand, l’auteur nous rappelle que la faillite du service hospitalier public que nous connaissons aujourd’hui est l’aboutissement d’une politique de calcul et d’économie dont sont comptables tous ceux qui ont gouverné notre pays pendant ces trente dernières années. Quand on sait qu’un couvreur se doit de fournir une garantie décennale pour une toiture, on se dit qu’il devrait en aller de même pour nos dirigeants, que même une fois retirés des affaires avec la très confortable pension que nous leur versons, il leur faudrait répondre des conséquences de leurs actes ; ainsi cela nous épargnerait ces pitoyables et lâches gamineries de cour de récréation qui consistent à dire, dans une langue autrement plus « boisée » : « c’est pas moi qui ai fait ça, c’est lui c’est elle je vous jure chers électeurs monsieur le procureur c’est pas ma faute ! »

Texte de Paul Machto, psychiatre

 A la manière de …  Martin Niemöller (pasteur et théologien allemand)

Quand ils nous ont dit : La loi du 31 juillet 1991 instaure la maîtrise des dépenses hospitalières. 

Je n’ai rien dit, je n’étais pas économiste,

Quand Claude Evin a parlé d’hôpital-entreprise à la fin des années 80,

                  Je n’ai rien dit, je n’étais pas entrepreneur,

Quand les gouvernants ont mis en œuvre la gestion-comptable en 90, pour les hôpitaux, 

                  Je n’ai rien dit, je n’étais pas dirigeant,

Quand Sarkozy et Bachelot ont mis en œuvre la loi H.P.S.T qui a donné le pouvoir au « patron » de l’hôpital, le directeur, et rendu une administration toute-puissante, 

                  Je n’ai rien dit, je n’étais pas administratif,

Quand la gestionnite bureaucratique s’est mise en place, 

                  Je n’ai rien dit, je n’étais pas gestionnaire, 

Quand Hollande et Marisol Touraine, ont supprimé 17500 sites de santé et supprimé 17500 lits, 

                  Je n’ai rien dit, je n’étais pas comptable,

Quand quelque trois milliards d’euros d’économies furent prévus, dont 860 millions issus de la « maîtrise de la masse salariale », c’est à dire la suppression de 22.000 postes, soit 2% des effectifs,

                  Je n’ai rien dit, je n’étais pas fonctionnaire,

Quand les salariés de l’hôpital psychiatrique du Rouvray à Sotteville-lès-Rouen (Seine-Maritime), ont fait la grève de la faim en 2018,

 Je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste.

Quand les services d’urgences se sont mis en grève en 2019,

 Je n’ai rien dit, je n’étais pas urgentiste.

Quand Macron et Buzyn se sont moqués du mouvement des soignants au cours des dix derniers mois, 

                  Je n’ai rien dit, je n’étais pas soignant,

Quand les sbires de Castaner sont venus réprimer les manifestants des hôpitaux, 

Je n’ai rien dit, je n’étais pas hospitalier.

Quand Macron a supprimé en 3 ans 4172 lits dans 3000 services de santé publique, 

                  Je n’ai rien dit, je n’étais pas hospitalisé,  

Mais quand le coronaromachin, le Covid 19, est arrivé, qu’il nous est tombé dessus, 

                  Là, j’ai paniqué :

Ø Il n’y avait plus assez de lits pour les hospitalisations, plus assez de places en réanimation, 

Ø Il n’y avait plus assez de soignants pour nous soigner, 

Ø Il n’y avait pas assez de masques pour protéger les soignants 

Face à la pénurie organisée depuis trente ans par ces gouvernants irresponsables appliquant la même politique néolibérale,

o  ils ont commencé à trier les malades à soigner, 

o  à laisser de côté les malades et les soignants en psychiatrie, 

o  à isoler les personnes âgées dans les EPHAD, à les oublier. 

·      Alors j’ai commencé à applaudir les soignants le soir à 20h, sans honte de n’avoir rien dit pendant toutes ces années,

·      J’ai donné le titre de « héros » à ces soignants, que je n’ai pas soutenus pendant ces onze mois,  

·      J’ai réalisé que le service public c’est très important, indispensable, dans notre pays, 

Mais… 

Quand est-ce qu’ENFIN vais-je DIRE ou HURLER quelque chose ?

Quand sera-t-il possible de commencer à se révolter vraiment ?

Quand sera-t-il possible de commencer à construire un autre monde ? 

Quand sera-t-il possible d’inventer un nouveau système alternatif à la déshumanisation néolibérale et au chacun pour soi ?

Quand sera-t-il possible de mettre en œuvre une société où le collectif et le partage aillent de pair avec l’individu et le singulier ?

Quand y aura-t-il assez de monde pour se lever et être tous ensemble pour protéger la planète, instaurer la décroissance, une démocratie citoyenne à échelle humaine, privilégier l’humain sur la machine et sur l’économie, développer de nouvelles solidarités, de prendre le temps de vivre, de penser, de lire, … d’aimer ?

Le blog de Paul Machto : https://blogs.mediapart.fr/paul-machto/blog

Samedi 28 mars 2020

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Cette nuit, j’ai cheminé de moment en moment, où tout paraît vain, où dans l’angoisse et le chagrin, tous les mots perdent leur sens et que surtout le futur n’a plus cours. Absence vide, absence pleine, indépassable.

J’ai retrouvé dans mes mails ce que m’avait écrit Catherine au lendemain de la mort de sa sœur :

Souviens-toi, « La vie humaine commence de l’autre côté du désespoir » disait Sartre.

Et moi, je préfère dire, comme Isaïe : « Le désert et le pays aride se réjouiront, la solitude s’égaiera, et fleurira comme un narcisse, elle se couvrira de fleurs, et tressaillira de joie, avec chants d’allégresse et cris de triomphe ». Alors faisons que son absence se nourrisse au creux de notre présence.

Et ce matin, un mail de mon collègue Dominique, au sujet d’un travail commun, qui commence par « Et on continue ».

Oui.

JF

Les jours se suivent et ne se ressemblent pas, pourtant la routine est prise, entre lire écrire écouter de la musique et ranger trier tout ce qui peut l’être, les heures passent sans trop s’étirer ; la différence tient à cette tension que l’on éprouve dans les cervicales, mauvaise posture se dit-on, trop d’écran, mais aussi, à n’en pas douter, inquiétude qui grandit au-dedans et qu’avivent chaque jour les nouvelles du dehors : Pierre est mort avant-hier, Catherine hier, Michèle en coma artificiel, les enfants d’une autre Catherine testés positifs… Et qui ensuite, quels prénoms après les leurs ? Car ils ne font que débuter une liste dont nul ne sait si nous n’en serons pas ; alors on a beau s’accrocher à sa routine, ne déroger en rien à ce qui nous ancre et nous rassure, force est de constater que ces jours « extraordinaires » nous ébranlent plus qu’on ne voudrait le dire…

Dimanche 29 mars 2020

FR

J’écris au creux de la tempête qui s’annonce. Ce devrait être l’occasion de m’asseoir et de lire, mais je ne peux pas.

J’essaie d’établir à nouveau un rythme de vie contraignant, lever, chats, petit déjeuner, toilette, travail, déjeuner, lecture, réseaux sociaux. J’écris un peu.

Toute cette routine  ne pèse pas bien lourd face à la litanie des confinés, des infectés, des réanimés, des morts. Mes défenses sont dérisoires.

Aujourd’hui, une heure de confinement en moins. Voilà bien un non-événement mais c’est une heure de gagnée. Tout ce que je peux gagner sur le temps qui passe, trop vite, trop lentement, mais qui passe quand même, je le prends. Derrière mes carreaux et ma porte fermée, il n’y a rien d’autre à faire qu’à regarder le temps qu’il fait et le temps passer.

Quinze jours de plus de relégation, au moins. Tout est dans le « au moins ». J’étais préparée à plus de quinze jours. Moins à plus d’un mois. Et je lutte pour que la peur ne me gagne pas, pas la peur de manquer, non,  je ne manque pas,  mais la vilaine peur qui vrille les tripes, la peur profonde d’être moi-même ou un des miens infectés, la  peur de mourir ou de voir mourir ceux que j’aime.

La mort de mon amie Catherine a ravivé cette peur.

Alors ce matin, à bout d’insomnie, lever très tôt. Je suis sortie, dérogation en poche par laquelle je m’autorisais  à faire mes courses au marché, alors qu’il a été fermé la semaine dernière…

J’ai marché au milieu de la chaussée, en plein milieu, jusqu’à la place du marché. Pas une voiture. Aucun bruit,  juste le froissement de mes pieds sur la chaussée. Juste le silence de la ville sous cloche.  Je me suis  dégourdie les jambes dans la fraîcheur du petit matin ample et froid.

En sursis.

JF

« Les jours sans courrier sont comme de longs dimanches. » La phrase date du siècle précédent et ça s’entend. Je l’avais notée dans mon carnet lors d’un travail réalisé avec des anciens en maison de retraite et hôpital gériatrique. C’était en 1996 et en ce temps-là on écrivait des lettres à nos anciens car le téléphone, quand l’oreille était capricieuse voire déficiente, souvent frustrait plus que ravissait. On leur ouvrait ainsi une petite fenêtre sur notre quotidien, sur le monde extérieur dont ils n’avaient nouvelles que par la télévision, et quelles nouvelles, disaient certains, on s’en passerait bien tant le monde est devenu fou ! Pour l’anecdote, ma vieille mère presque centenaire aimait à dire que c’étaient les spoutniks russes qui avaient tout détraqué ! Argument qui en vaut un autre mais que réfuteraient les 15% d’Américains « platistes » (forcément si la terre n’est pas ronde un satellite peut pas tourner autour !). Bref, qui encore écrit des lettres manuscrites aujourd’hui ? Même mon amie Catherine J., irréductible épistolière, ne nous envoie plus guère, de sa ronde écriture d’enseignante, que ses bons vœux de nouvel an et quelques invitations à réception ; pour le reste, elle s’est rangée côté clavier. D’ailleurs, les anciens aussi se sont familiarisés avec l’informatique, dans le but premier de garder un contact audio et visuel avec leurs enfants et petits-enfants souvent très éloignés. Par anciens, j’entends les plus de 80 ans (avec la mauvaise foi qui est mienne, dans quelques années je dirais les plus de 85, mais bon, nobody’s perfect !). Il en est plusieurs dans mon entourage qui maîtrisent autrement mieux que moi (ce qui ne relève pas de l’exploit, soit dit en passant) ordinateurs, tablettes et smartphones ! Aussi est-il certain que pour beaucoup d’entre eux, un long dimanche aujourd’hui serait un jour sans connexion Internet ! En ces temps de confinement où nous sommes nombreux à ouvrir, presque machinalement et que l’on télétravaille ou pas, tantôt une fenêtre sur les réseaux sociaux, tantôt une fenêtre sur notre messagerie, une défaillance massive d’Internet nous obligerait à une semaine de sept dimanches ! Ce qui fut rêve pour certains deviendrait alors cauchemar pour tous ! Et pour peu que la poste cesse ses activités de courrier, même mon amie Catherine J. ne pourrait plus nous donner de nouvelles, forcément bonnes et rassurantes, car en plus d’être une irréductible épistolière, elle est également une indécrottable optimiste ! Vous dire alors l’ennui qui serait mien : un puits sans fond !