L’Œil de bœuf (2004)

Éditions Joca Seria, 2004
(version entièrement revue).

Couverture de "L'Oeil de boeuf", édition revue de 2004

Extrait

Déjà le soir et dans ton petit lit de fer elle te couchait, puis racontait pour t’endormir des histoires de gnomes bossus.
Tout-doux, tout-doux, Pierre-Henri
Entends-tu les gnomes qui rient ?
« Mais tout était faux, tout, même sa voix. Tu ne voulais pas l’écouter, tournais la tête et, tandis qu’elle parlait, tu fixais par la porte entrebâillée la grosse pupille de cuivre qui balançait dans le coffre de la pendule : œil dont la mobilité incessante trahissait l’inquiétude ; œil gardien vigilant d’une chère pourriture, car le coffre même de la pendule t’évoquait un sarcophage. Il ne s’agissait pas de gnomes, alors. Non, juste des histoires qu’elle te racontait. Mais pourquoi parler plus mal que les choses autour de soi ?
Tout-doux, tout-doux, Pierre Henri
Entends-tu les gnomes qui rient ?
Tout était faux ! Tout ! Ne riaient pas, les gnomes, mais hurlaient de rage et de peur mêlées, car l’un d’eux avaient entrepris de s’évader ! Imaginer plutôt… Il était une fois milliers de gnomes froussards sur une crique en demi-lune, l’océan devant, une haute muraille rocheuse derrière. Milliers de gnomes emprisonnés qui, nez en l’air, regardaient en trépignant celui qui osait. Ils criaient et le montraient du doigt Mais regardez-le escalader la falaise ! N’a même pas de bosse ! Dire combien le fuyard se moquait de leurs sarcasmes. D’ailleurs, les entendait-il encore ? Son petit corps plaqué contre l’abrupte paroi, il s’éloignait imperceptiblement des hurlants. Ses mains comme de minuscules et pâles astéries s’agrippaient à la roche. Il ne reviendrait jamais. Ce lui était d’ailleurs impossible, maintenant. Chute mortelle assurée. Ah, ils pouvaient bien l’insulter, les autres, lui jeter des pierres aussi : il se trouvait hors d’atteinte. Pourtant, il aurait aimé leur répondre en leur crachant dessus. Mais pas d’imprudence, demeurer joue contre la pierre froide, mains de part et d’autre tâtonnant, trouver la bonne prise, l’appui sûr, progresser, fuir. Déjà il était à belle hauteur. Et les autres, à quoi ressemblaient-ils vus de là ? On ne devait distinguer que leurs crânes ronds, pointus, bruns, blancs, roux, chauves, tonsurés. A peine plus gros que les galets sous leurs pieds. Pelletée de cailloux que le flux noie, que le jusant découvre, que les marées roulent et bercent et polissent et usent. Ils deviendraient si tôt fragiles comme bulles de savon, leurs petits crânes ! Ils finiraient par éclater ! Ploc ! Un petit bruit et puis plus rien. Rien. Ah, ils pouvaient bien hurler, il ne les entendait plus : le vent à ses oreilles faisait un vacarme assourdissant. Mais n’empêche qu’il progressait, centimètre par centimètre, le long de l’abrupte paroi. N’était guère plus qu’un insecte aux yeux des autres qui tendaient le bras vers lui, faisaient tourner leur index autour de sa minuscule silhouette, s’imaginaient gratter la roche pour le faire choir. Ô rêve grandiose, ô rêve vain de gnomes pleutres ! »


Coupure de presse

« Voyage au bout de la vie, au bout de la nuit, au bout du cœur. Comme un cri strident, comme une volée de roulements de tambour, comme un torrent de mots jaillis de l’âme. Il y a des aveux, des larmes et des brouillards. Et puis toujours des bruits de vagues, des rythmes de boggies, des échappées belles sous les tables et aussi des silences retentissants. L’atmosphère est celle d’un confessionnal, sombre, profonde.
L’œil-de-bœuf renvoie à chacun le reflet de ses abandons, de ses paniques. »
Alain-Pierre DAGUIN
Presse-Océan, avril 2004