L’Heure avant l’heure

Éditions Le bruit des autres, 2008
Ce monologue a été créé par Roberte Lamy de la Compagnie La Douce Amère au Centre culturel Jean-Louis Barrault de Vert-le-Petit le 5 octobre 2007.
Peinture de couverture : Sabine Stellittano.

Couverture de "L'Heure avant l'heure"

Extrait (pp. 35-37)

« Mon amour opus deux, c’était un jeune poète… un jeune poète, doux comme un agneau qui m’écrivait le mignon des vers longs comme le bras… et qui le chéri je m’en souviens… se plaisait à voir dans l’escargot… la métaphore de sa condition :

« Tu vois, me disait-il, je suis comme lui : dur à l’extérieur… tendre à l’intérieur… partout chez moi… nulle part à l’abri ! »

Là dessus, dès fois que j’aurais pas compris : grands discours sur le pouvoir des mots… sur l’universalité de la poésie… sur les troubadours, chantres et autres métromanes qu’on persécute de par le monde… auxquels on coupe les mains… la tête… la plume…

Moi, bon public, j’en pleurais à chaque fois… Des larmes et des larmes… C’est comme ça, on ne se refait pas, quand on a été marqué au fer « rouge », c’est pour la vie !

Cela étant, un beau jour de notre troisième printemps d’amour, alors qu’il venait de publier son premier recueil de poésie et qu’on avait parlé de lui dans le journal, mon escargot, mon petit gris, mon gastéropopo de Bourgogne, il s’est approché de moi, tout mou, tout penaud dans sa coquille :

« Tu vois, ma mie, qu’il m’a bavé dans l’oreille, tu vois, j’ai eu besoin de toi pour déployer mes ailes et maintenant j’ai besoin de te quitter pour prendre mon envol… »

Cette réplique, certes bien troussée, oblige à un double constat :

Primo : on peut être un bon poète et n’y rien connaître dans les petites bêtes, car la métamorphose de l’escargot en petit zoziau, vous m’excuserez, mais moi j’ai de la peine !

Deuxio : on peut être un bon poète et un fieffé salaud. Car non seulement le colimaçon chérubin s’est envolé avec tous les sous déposés dans le panier à commission, mais il n’a jamais, lui… jamais rien voulu déposer… dans mon panier mignon à moi !

Pourtant il était encore temps…

Mais surpopulation de la planète, qu’il disait, on n’arrivera plus à nourrir tout le monde !

C’est vrai que ses petits vers à lui n’auraient pas suffi… Bon pour les piafs, les petits vers… Pas pour les loupiots… Au fond, il avait peut-être raison…

Toujours est-il, depuis qu’il est parti, je peux plus blairer les escargots, ni farcis ni vivants… Surtout vivants !

Quand j’en vois un, je tourne la tête ou je change de trottoir… Sinon, j’en ferais de la bouillie sous la semelle… De la bouillie de poète… Poète… pouet… pouet… »


Coupures de presse

« (…) … ce monologue met en scène une comédienne dans sa loge, juste avant le spectacle. Profitant de cet entre-deux où elle ne se sent « plus tout à fait elle-même et pas encore cette autre seule en scène », elle parle, pense, se souvient, dresse des bilans. Elle parle de son métier, de sa mère ou de sa grand-mère. Elle raconte pour oublier le trac et trouver une raison de monter sur scène. Durant cette « heure avant l’heure » s’esquisse le parcours d’une femme qui a su gagner sa liberté et trouver sa place sur la scène de la vie. Un bel exercice qui trouvera certainement sa place auprès des jeunes comédiennes. »
Élisabeth GENTET-RAVASCO
L’Agapante, revue Atelier Théâtre, n°34, printemps 2009


« Après Qui d’autre ? chez le même éditeur et avant un prochain dossier dans Décharge (scoop !), Jacques-François Piquet poursuit son aventure théâtrale. L’heure avant l’heure est un monologue, que se tient une comédienne dans sa loge juste avant d’entrer en scène. Mais si elle y est seule, des fantômes peuplent aussi l’espace éphémère, ceux de sa mère, de sa grand-mère, avec lesquels elle échange, polémique parfois, tente de comprendre et aussi d’oublier. La vie défile alors en accéléré, comme si l’entrée en scène signait la mort de l’actrice, une petite mort provisoire qui se répète chaque soir, on abandonne son corps, on le prête à l’autre, le personnage, le temps d’un spectacle. Comme toujours chez Piquet, c’est subtil, grave et bouleversant, mais il y a ici, dans les mots et plus encore dans le jeu suggéré par les didascalies, une dose inédite d’humour qui introduit une certaine distanciation. Celle de l’acteur, incertain d’être encore lui-même ou déjà son personnage, incertain aussi du décor de cette loge : encore la réalité ou déjà la fiction ? Et cette réalité qui « fait passer l’heure avant l’heure », qu’est-elle ? Souvenir ? Illusion ? Désirs, ou regrets ? »
Alain KEWES
Revue Décharge 140, décembre 2008


L’heure avant l’heure a été créée en 2007 par la Compagnie La douce amère avec la comédienne Roberte Lamy, puis reprise en 2013 dans une mise en scène de Didier Lagana avec les comédiennes Marie-Anne Abric, Caroline Boogaerts et Silvia Claret.