Suite nantaise

Récits
Éditions Rhubarbe, 2013
Illustration de couverture : Laurence Rozet.

Couverture de "Suite nantaise"

Quatrième de couverture

« Suite nantaise prolonge en quelque sorte Noms de Nantes paru dix ans plus tôt, mais sous une autre forme et avec une autre portée. En l’occurrence, au travers des cinq mouvements qui composent cette suite, on assiste au glissement du réel vers la fiction, à la sublimation du vécu par l’écriture. Les dernières pages du livre affinent les contours d’un espace romanesque en devenir. »


Premières pages

Prélude – Une vie : 1909-1977
« Sitôt l’armistice signé, le père a fait venir le photographe du bourg voisin. Sa façon à lui de prendre repère. C’était en effet la première et la dernière fois qu’il poserait seul avec ses trois enfants. Avant, il y avait Marie ; après… Justement, il allait pouvoir y songer, le père, maintenant qu’il avait ôté le ruban noir au revers de son veston, maintenant surtout que la Grande Guerre était finie. Les veuves ne manquaient pas. Lui-même n’était plus très jeune.
Le photographe d’Assérac les a fait poser sur le pas de la porte, le père assis sur une chaise, à sa droite son fils aîné et sa benjamine, à sa gauche son cadet. Tous ont revêtu leurs plus beaux habits pour l’occasion ; seules détonnent les galoches terreuses des enfants, mais sans doute n’avaient-ils rien de mieux pour se chausser. Dans ce hameau de Loire-Inférieure, on portait plus souvent sabots de bois que souliers de cuir. Enfin la mère les aurait quand même nettoyées à la brosse, puis graissées et reluies au chiffon. Comme elle aurait rallongé le pantalon du cadet, noué la ceinture de la petite. Mais la mère n’était plus, emportée seize mois plus tôt par la tuberculose, une mort parmi tant d’autres, presque ordinaire : combien des fermes voisines pourrissaient au loin sans linceul dans la terre lorraine.
La tristesse pourtant sur les visages. Du cadet, surtout. Il s’appelle Henri, il a neuf ans. À cet âge, même petit paysan, on a encore le goût du lait et des besoins de main douce sur le front avant de s’endormir. Dans quelques mois, il aura une belle-mère, ni veuve ni très jeune, et plus tard trois demi-frères et sœurs. Les bras noueux du père ne suffiront plus à nourrir tant de bouches. L’aîné partira travailler à Saint-Nazaire ; le cadet partagera ses jours entre l’école et les champs ; la fillette ne tardera pas à s’en aller rejoindre sa mère, même cause même effet. Oui, le père avait bien senti l’importance de faire venir le photographe. »


Coupures de presse

« (…) Le lecteur est alors sensible à la multiplicité des écritures : celle musicale, d’abord, et dont le romancier se sert pour amorcer chaque mouvement différent du texte, prélude, courante, sarabande, pour ne citer que les trois premiers. Ce procédé original lui a permis aussi de faire débuter son texte dès la dédicace à sa mère musicienne, liminaire intéressant en ce sens où il confirme la prise en compte du moindre mot. Tout participe de la construction du texte, tout s’y intègre, pas de gâchis ni de surplus de mots, un travail incontournable quand il s’agit d’une écriture intimiste, apparentée au journal. Ainsi le récit, et on le sent, débute-t-il même avant-texte, comme avant la naissance du narrateur : il est dédié explicitement à la mère et le premier mouvement fait apparaître immédiatement « le père » mais qui, s’il représente une figure paternelle n’est pas celui du narrateur, indiquant une filiation tout autant, d’ailleurs, celle de l’œuvre romanesque avec son double principe de mémoire et de distance, de sensibilité et de maîtrise, d’imagination et de technique. (…) »
Chantal DANJOU
Remue.net.


« Après Noms de Nantes, Jacques-François Piquet reprend dans ce nouveau livre le thème des jeunes années et revient sur l’enfance blessée qu’il porte en lui.
C’est la seconde fois que la mention de sa ville natale apparaît dans le titre d’un ouvrage de Jacques-François Piquet. Déjà, Noms de Nantes, paru aux éditions Joca Seria en 2002, évoquait, par petites proses, petits flashes liés à certaines rues, certains quartiers de la ville, l’enfance et l’adolescence de l’auteur jusqu’à son départ pour l’armée. Suite nantaise reprend ce thème des jeunes années sous une forme différente et va au-delà dans la quête et l’approfondissement de soi. 
(…) Suite nantaise est habilement construit et dévoile, dans une sorte de bilan que l’on ne découvre qu’au final, le cheminement et l’épanouissement progressifs d’un homme et d’une œuvre indissociables.  »
Patrice ANGIBAUD
Revue Texture.


« Comme chaque fois chez Jacques-François Piquet, l’écriture et la construction de l’histoire sont très propres, on pourrait parler de ‘ligne claire’ en littérature, en ce qui le concerne. Ce livre est cependant particulier ; moins parce qu’il adopte un découpage musical dans le domaine de la symbolique, que parce que la majeure partie du livre est basée sur de l’autobiographie. (…) …l’homme construit ses souvenirs, tente de les vérifier dans des retours en arrière narratifs et réels, et enfin l’espace romanesque s’ouvre à nouveau, complètement, dans l’imaginaire et se ramifie dans des univers possibles en projets mi-oniriques, mi-vraisemblables. La boucle est bouclée. On part de la graine véridique vers les fruits réalisables, extraits de l’œuvre en cours… »
Jacques MORIN
Revue Décharge n° 158, juin 2013.